Natasha Mashkevich joue actuellement à Paris*. Elle nous a accordé une interview.
« Tel un arbre j'essaie chaque jour de m'enraciner de plus en plus profondément et de faire pousser mes branches de plus en plus haut vers le ciel »,
Je suis née en ex-URSS, plus précisément en Kirghistan (Asie Centrale). Tout le monde là- bas parlait le russe, donc ma langue maternelle est le russe, mes deux parents me parlaient en russe. Mais la langue du Kirghistan est le Kirghiz (langue proche du turc), on l'apprenait à l'école mais je ne le parle pas. Et donc bien sûr je considère le russe comme ma langue maternelle.
Avec ma famille, j'ai émigré en Israël et c'est là que j'ai appris l'hébreu et l'anglais, deuxième langue nationale du pays. Ensuite on a immigré en Belgique où j'ai appris le français, mais j'étais aussi obligée d'apprendre le néerlandais qui est la deuxième langue du pays. Actuellement j'habite à Paris, et suite à certaines rencontres j'ai appris l'espagnol et le portugais du Brésil.
Quand on grandit avec plusieurs langues, cela donne beaucoup d'atouts.Mais c'est sûr que cela laisse une empreinte... C'est complexe comme situation.
Pour moi, le russe reste ma langue maternelle, ma première langue si je puis dire, ce qui me ramène aussi à dire que la culture et la mentalité russe (de l'est en général) me parlent plus. (Surtout que j'ai aussi des origines juives).
Je reste profondément proche et touchée par la Russie ou plutôt par l'ex-URSS (car le russe était la langue qui reliait tous ces pays entre eux).
En même temps, quand on grandit avec plusieurs langues et dans plusieurs pays, on se sent déraciné aussi !
Je n'ai pas eu de problèmes d'identité, mais plutôt d'appartenance. Je pense que quand on a été, comme moi, transporté enfant/jeune d'un pays à l'autre (complètement différents entre eux par la culture, la langue, la mentalité), on s'adapte facilement partout, on se sent bien partout et nulle part en même temps.
On n'a plus vraiment ''une patrie''.
Alors ça peut être positif et négatif en même temps. Moi, j'essaie de tirer le meilleur de toutes mes expériences, et de construire au mieux mon parcours avec tout ce que j'ai reçu (langues, cultures, rencontres, etc).
Mais la question des ''racines'' demeure.
Je n'oublie pas mes racines et tel un arbre, j'essaie chaque jour, de m'enraciner de plus en plus profondément tout en faisant pousser mes branches de plus en plus haut vers le ciel. Je me sens aussi citoyenne du monde.
J'ai un petit garçon de 17 mois, je lui parle en russe, son papa lui parle en portugais, mais ensemble on lui parle en français aussi, car il vit en France et il devra apprendre le français. Je sais que pour lui ce n'est pas facile de grandir avec 3 langues! Mais après il aura d’énormes atouts.
La comédienne
Je peux jouer dans toutes les langues que je parle, et c'est ce que j'aime. Dès que je peux, je saisis la chance de lire un livre ou une pièce dans sa langue originale, et d'interpréter des personnages venant d'horizons divers.
J'ai eu la chance de jouer en russe ( en Europe et en Russie), en anglais (en Allemagne et en France), en français (en Belgique et en France).... J'espère avoir l'occasion prochainement de jouer en espagnol, et en hébreu.
Je ne joue pas vraiment de la même façon dans chaque langue.
Le processus de travail est le même bien sûr, en tant qu'actrice. Mais dans l'interprétation l'énergie change, le placement vocal, même la voix change un peu. Et puis ''la place mentale'' aussi, le rapport que j'ai à chacune des langues. Tous ces paramètres changent des choses dans le jeu.
C'est très intéressant pour moi, je travaille beaucoup là-dessus.
Ce lien entre la langue maternelle, parlée, ou apprise, la voix, le corps... c'est passionnant.
Quand je joue je suis évidemment la même personne, dans n'importe quelle langue, car la différence entre l'acteur et son personnage c'est SA VIE. Sinon ce serait du dédoublement de personnalité ou une autre pathologie du genre.
Comme par exemple dans la pièce que je joue au Lucernaire, ''Notre Dame de Perpétuels Donuts'' de Jordan Beswick.
Le personnage s'appelle Edna, c'est une histoire vraie, une histoire d'une femme terriblement abusée, par son père son mari etc mais qui s'en sort, qui réussit à survivre. Grâce à l'amour, au pardon, à son humour, à sa foi, à ses enfants. Et ma vie n'est pas la vie d'Edna, mais je fais mon travail de comédienne pour incarner le personnage d'Edna jusqu'à ce que son histoire devienne mon histoire...
*Actuellement au théâtre du Lucernaire, Paris